Comment la perte de biodiversité déstabilise les écosystèmes

Un nouveau modèle de croissance des populations permet pour la première fois de rendre compte d'un phénomène constaté empiriquement : la perte de biodiversité déstabilise les écosystèmes. Cette avancée, réalisée par une équipe réunissant l’Université McGill (Canada), l’Institut Max Planck (Allemagne) et le laboratoire Matière et systèmes complexes devrait permettre une meilleure compréhension de la dégradation de la biodiversité sur la planète, et de ses conséquences. Les résultats sont publiés dans la revue Science.

Dans un environnement naturel complexe comme la forêt tropicale ou le récif corallien, l'équilibre qui s'établit empêche une espèce dominante de prendre le dessus sur les autres. Mais quels sont les facteurs qui garantissent l'équilibre d'un écosystème, ou au contraire le déstabilisent ? La question fait débat depuis longtemps parmi les théoriciens de l'écologie : les modèles théoriques classiques prédisent qu'un écosystème sera déstabilisé par une augmentation de la biodiversité, tandis que les observations empiriques sur des populations suggèrent... le contraire.  Pour résoudre cette énigme, une équipe de scientifiques de l’Université McGill (Canada), de l’Institut Max Planck (Allemagne) et du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Université Paris Cité), propose un nouveau modèle de croissance des populations qui permet de rendre compte du phénomène observé : la perte de biodiversité engendre la déstabilisation d'un écosystème.

Pour élaborer leur modèle, les scientifiques ont exploité des données récoltées pendant des décennies sur diverses espèces (insectes, poissons, mammifères). Jusqu'ici, la théorie la plus courante s'appuyait sur un modèle de croissance dit ''logistique'', dans lequel le taux de croissance devient de plus en plus faible à mesure que la taille de la population approche d'un maximum imposé par l'environnement. Le nouveau modèle applique une croissance dite ''sous-linéaire'' : le taux de croissance varie avec la quantité de biomasse affecté d'un exposant inférieur à 1. Combiné avec des interactions compétitives entre de nombreuses espèces, il engendre un mécanisme de régulation collective qui préserve la diversité et l'équilibre de l’écosystème. Une perte de biodiversité, au contraire, augmentera la probabilité d'une déstabilisation de l'écosystème, et le temps nécessaire pour retrouver un équilibre après une perturbation. La robustesse de ces résultats a été testée en faisant varier certaines hypothèses, comme les différents types de croissance par habitant en dessous du seuil inférieur de biomasse, le niveau de connectivité ou les types d'interaction entre les espèces de l'écosystème.

Le nouveau modèle n'a pas seulement pour avantage de réconcilier la théorie écologique et les observations. Il ouvre des perspectives de recherche, en permettant des prédictions macro-écologiques sur la distribution des espèces, et ses conséquences sur la stabilité de la planète. Par ailleurs, de nouveaux développements du modèle sont envisagés, en prenant en compte des séries temporelles de plus en plus longues ou encore en utilisant simultanément différents modèles de croissance selon les espèces.

Des forêts tropicales humides aux récifs coralliens, les écosystèmes les plus diversifiés de la Terre sont aussi les plus stables. © Rhett Butler et MPI MiS

Références
Diversity begets stability: sublinear growth and competitive coexistence across ecosystems.
A. Hatton, O. Mazzarisi, A. Altieri, M. Smerlak.
Science, publié le 15/03/2024.
https://doi.org/10.1126/science.adg8488

Laboratoire de la circonscription Ile-de-France Villejuif impliqué

Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Université Paris Cité)