La formation du visage, ramenée aux premiers principes

Résultats scientifiques

Le développement des embryons a longtemps été considéré comme tenant du seul ressort de l’ADN, mais de plus en plus d’éléments montrent l’importance de forces et de phénomènes physiques. Vincent Fleury du laboratoire Matière et systèmes complexes (CNRS / université Paris Cité) et Anick Abourachid, chercheuse du MNHN ont développé un modèle où des forces de contraction et de poussée, dues à la manière dont les cellules de l’embryon se divisent, forment de nombreux visages d’animaux. Ces travaux sont basés sur la combinaison d’observations en laboratoire et de modèles numériques.

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Le développement des embryons a longtemps été considéré comme tenant du seul ressort de l’ADN, mais de plus en plus d’éléments montrent l’importance de forces et de phénomènes physiques. Deux chercheurs du CNRS et du MNHN ont développé un modèle où des forces de contraction et de poussée, dues à la manière dont les cellules de l’embryon se divisent, forment de nombreux visages d’animaux. Ces travaux sont basés sur la combinaison d’observations en laboratoire et de modèles numériques.

Le rôle de l’ADN et de la biochimie dans la formation du vivant est bien connu, mais celui de différents phénomènes physiques reste sous-estimé, en particulier sur les premiers stades de l’embryon. La blastula présente ainsi une structure en anneaux concentriques, que des contractions successives transforment en une structure en tubes emboîtés. Ces derniers forment ensuite le corps, le tube digestif, le système nerveux ou encore le sac amniotique. Dans la continuité de ces travaux, Vincent Fleury du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Université Paris Cité) et Anick Abourachid du laboratoire Mécanismes adaptatifs et évolution (MECADEV, CNRS/MNHN) proposent un nouveau mécanisme de formation de la tête, du visage et plus généralement de la forme globale des vertébrés, basé sur les forces engendrées par les divisions cellulaires de l’ovule fécondé sur des structures en rayons. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review E.

Les scientifiques se sont pour cela appuyés sur des observations en laboratoire du développement embryonnaire du poulet, ainsi que sur des simulations numériques. Le très jeune embryon présente une structure en forme de cible de fléchettes, où les contractions des cercles concentriques permettent, comme nous l’avons vu, la formation de tubes longitudinaux. Les forces qui modifient ainsi l’embryon viennent du fait que quand une cellule se divise en deux, elles se retrouvent en angle droit et poussent leurs voisines. Ce principe est d’ailleurs à l’origine de la formation de quartiers et de cernes chez les végétaux, des formes très proches d’une cible de fléchettes.

Lorsque les contractions s’appliquent également aux rayons de cette structure, elles provoquent l’apparition de tubes perpendiculaires aux tubes principaux. La poursuite des contractions fait se dégager la tête, puis déforme les trous jusqu’à engendrer les organes externes des différents sens : une bouche, des yeux en amandes ou encore des oreilles. À des étapes ultérieures du développement, certaines lignes se mettent à pousser au lieu de se contracter, ce qui allonge leurs bords et esquisse des éléments comme les lèvres ou les narines. Les simulations de ces phénomènes ont permis d’obtenir, à partir de quelques lois simples, des formes très familières de visages de vertébrés : chats, ours, tapirs, éléphants, requins, etc.

Ces travaux ouvrent des perspectives nouvelles en embryologie et en paléontologie, mais également dans le champ artistique étant donnée la capacité des modèles à dessiner aussi bien des animaux réels que des créatures hybrides.

Fig. 1. À gauche : simulation par éléments finis de la formation d’une oreille. À droite, comparaison entre le modèle et une oreille d’embryon de poulet.
Fig. 1. À gauche : simulation par éléments finis de la formation d’une oreille. À droite, comparaison entre le modèle et une oreille d’embryon de poulet.
Fig. 2. Différents animaux obtenus par le calcul dans le modèle de Vincent Fleury et Anick Abourachid. On retrouve en haut à gauche la condition initiale. Les animaux sont façonnés par des jeux de tensions, s’exerçant suivant les lignes séparant les domaines fixés par les premières divisions cellulaires.
Fig. 2. Différents animaux obtenus par le calcul dans le modèle de Vincent Fleury et Anick Abourachid. On retrouve en haut à gauche la condition initiale. Les animaux sont façonnés par des jeux de tensions, s’exerçant suivant les lignes séparant les domaines fixés par les premières divisions cellulaires.