Portrait d’Elise Chièze-Wattinne, chargée de recherche en sociologie du spectacle vivant

Interview Sciences humaines & sociales

A l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, le 11 février 2024, le CNRS Ile-de-France Villejuif vous présente les portraits de femmes de sciences. Elise Chièze-Wattinne est chercheuse au CERLIS, le Centre de recherche sur les liens sociaux (CNRS/Université Paris-Cité/Université Sorbonne Nouvelle).

Pendant longtemps, pour Elise Chièze-Wattinne, la science était surtout synonyme d’astronomie et de science dures. Avec des parents astrophysiciens, son enfance a été bercée de voyages à l’étranger, de colloques voire de lancements de satellites. Sa mère est sa toute première et principale « héroïne scientifique » ! Pourtant, elle ne pensait pas faire de la science son métier : « l’astronomie a une dimension très poétique, à la fois accessible et inaccessible ». Son orientation vers les sciences humaines et sociales n’est « ni une vocation ni une découverte sur le tard, mais une « redécouverte » » de la science.

En licence de psychologie, la sociologie n’est qu’une option mineure mais la passionne immédiatement. Mais l’appel du théâtre, dont elle prend des cours en parallèle, est trop fort. Elle bifurque donc rapidement vers la pratique professionnelle du théâtre, avec des études théâtrales puis au sein d’une compagnie. Elle sera ainsi comédienne pendant 15 ans.

Des planches de théâtre à la scène scientifique

Elle poursuit sa carrière en tant que chargée de production, de diffusion ou de communication pour différentes institutions culturelles, comme la Philharmonie de Paris et le Syndicat national des scènes publiques. C’est au cours de cette dernière expérience, à 33 ans, qu’elle décide d’entrer dans le monde de la recherche et de faire un doctorat en sociologie de la culture.

Sa thèse, soutenue il y a un an, portait sur le spectacle vivant, et plus précisément les directeur∙ices de théâtres de ville. Ces structures, bien que nombreuses, sont peu connues et étudiées, au contraire des Scènes labellisées, explique-t-elle. Son objectif était donc de documenter, notamment de façon qualitative, leur activité de programmation et de diffusion, en se centrant sur la Métropole du Grand Paris.

Etudier la transition écologique du monde du spectacle vivant

Aujourd’hui, ses travaux portent sur le même thème, élargi à l’écoresponsabilité du spectacle vivant. Elle étudie CooProg, une plateforme développée en 2023, dont l’objectif est de réduire l’empreinte carbone du secteur, à l’échelle européenne, en encourageant le changement des pratiques de programmation. Elle vise à rationaliser la circulation des artistes et des publics sur les territoires pour diminuer l'empreinte carbone de ce secteur très dépendant des tournées et du déplacement des publics, mais aussi à développer la coopération entre les acteurs du spectacle vivant dans leur diversité. Elise enquête aux côtés de Céline Schall sur les usages de cette plateforme et l’évolution des pratiques qu’elle entraîne – avec comme objectif, à long terme, d’accompagner au mieux les programmateurs dans la transition écologique.

Ce travail combine ses passions et lui permet de rester en lien avec les enquêtés de sa thèse, tout en élargissant le spectre à l’ensemble des scènes : « je suis très contente du rebond d’après-thèse, et de faire de la recherche-action liée à un outil opérationnel ». Elle aime l’aspect de mise en liens de son travail, que ce soit des idées, des personnes ou des mondes différents (académique et civil) – et la diversité de points de vue qui en résulte. Cela requiert aussi une autodiscipline et une rigueur à la fois intellectuelle et déontologique, un point qui ne la dérange pas, bien au contraire.

Il faut montrer aux filles qu’un contenu scientifique, quel qu’il soit, peut les concerner et qu’elles peuvent s’y retrouver – et surtout, qu’elles en sont capables et ont toutes quelque chose à apporter !

Avant de se lancer, Elise avait conscience de l’existence d’un plafond de verre en recherche, et d’un manque de débouchés. D’un autre côté, avec l’expérience de ses parents, il lui paraissait aussi accessible voire naturel de choisir cette voie. Si on ne lui a fermé aucune porte, « il faut en revanche être persévérant, résilient et surtout passionnée pour faire ce métier, qui est fondé sur l’itération et demande beaucoup d’énergie ». A chaque nouveau projet, une nouvelle intégration est de mise ; il faut se créer son équipe de recherche, et se connecter avec les autres. Pouvoir compter sur les collègues est donc primordial. Elle admire aussi beaucoup l’anthropologue Françoise Héritier – mais a hâte d’avoir de plus en plus de modèles féminins parmi la nouvelle génération. Aux jeunes filles qui sont passionnées par les sciences mais qui hésitent à se lancer dans la recherche, elle leur enjoint donc : « si c’est ce que vous voulez vraiment, accordez-vous ce plaisir ! ». « Il faut leur montrer qu’un contenu scientifique, quel qu’il soit, peut les concerner et qu’elles peuvent s’y retrouver – et surtout, qu’elles en sont capables et ont toutes quelque chose à apporter ».